La scène de la mode: la fermeture de Colette annonce-t-elle la fin des concept stores ?
Publié le 16/01/2018
Formé au Marketing, au stylisme et à la socio-sémiologie de la mode, ex Nelly Rodi et Maison Martin Margiela, Jean-Marc Chauve est aujourd’hui consultant à l'IFA Paris et directeur de la marque Imane Ayissi.
Le 20 décembre 2017, le célèbre concept store Colette a définitiviement fermé. Si cette fermeture résulte officiellement d’une lassitude de ses fondatrices, n’est-elle pas le signe d’une évolution de la distribution qui rend obsolète ce modèle de magasin ? Qu’annonce pour le futur de la distribution de mode la disparition de Colette ?
Le 20 décembre dernier, 20 ans après son ouverture, le concept store parisien culte Colette a définitivement fermé ses portes. Officiellement parce que sa fondatrice, Colette Rousseau, souhaitait enfin « prendre son temps » et que sa fille Sarah Andelman n’envisageait pas de continuer l’aventure Colette sans sa mère. Des arguments qui ont conduit le monde de la mode à s’interroger sur la profitabilité réelle de l’entreprise, qui ne semble pourtant pas être en cause. Plus profondément c’est peut-être la pertinence, en 2017, du modèle de concept store initié par Colette qu’il faut interroger. Ce que Sarah Andelman semblait d’ailleurs implicitement indiquer dans une récente interview pour Vogue : « here was a certain point, when we began to realize than 20 years is a good age. It was either that we needed to change everything and start from scratch because it wasn’t as fresh as we wanted or we just turn the page or start something else » ( interview de Sarah Andelman par Amy Verner, Vogue.com du 19 décembre 2017). Alors le modèle du concept store est-il usé ?
On peut remarquer que ce modèle s’est largement développé, et presque partout dans le monde, chaque grande ville, de Lagos à Berlin, de Paris à Seoul, compte plusieurs concept stores. Rien qu’à Paris, Merci, Broken Arm ou Centre Commercial se sont ouverts et prospèrent à partir de partis-pris plus affirmés ou plus en phase avec de nouvelles formes de consommation contemporaine (l’authenticité, le savoir-faire…etc). Ce qui montre que dans une industrie de la mode encore plus mondialisée et concurrentielle qu’il y a 20 ans, c’est le « concept » de Colette, ce qui devait fédérer la multitude de produits disparates distribués par le boutique et son site de e-commerce qui n’était plus pertinent. Ce concept que l’on peut définir par la « hype », la « branchitude », n’est plus un élément d’identité suffisant pour fédérer durablement un ensemble de consommateurs et se différencier de ses concurrents.
Un autre facteur d’usure vient du fait que ce modèle du concept store s’est tellement généralisé qu’il s’est imposé également au retail et aux marques : aucune marque aujourd’hui ne peut ouvrir un flagship store sans qu’y soit vendu différents types de produits -mode, décoration, petits objets…etc- et sans qu’y soit prévu un café, ou une libraire ou encore un espace d’exposition. Le flagship store Dior de Séoul, par exemple, est une parfaite illustration de cette mutation.
Mais à une époque où tout peut s’acheter sur internet et être livré à domicile, est-ce encore vraiment l’enjeu ? Comme l’explique Doug Stephen, le fondateur de Retail Prophet, dans un article pour Business of Fashion, dans un futur proche le rôle des boutiques ne sera plus de vendre des produits, mais de devenir des lieux d’expériences et d’expérimentations capables de créer une véritable relation avec la marque, des « living, breathing physical portals into brand and product expérience ». Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus rien à vendre dans ces espaces mais ça ne sera plus leur objectif principal. Selon Doug Stephen, cette évolution veut dire « stop thinking « stores » and start thinking stories, stop thinking « products » and start thinking productions ». (« To save retail, let it die » Doug Stephen, Business of Fashion du 5 septembre 2017).
Deux marques actuelles me semble des préfigurations de ce futur de la distribution :
La première est la marque Wu Yong de la créatrice chinoise Ma Ke. Son unique boutique, située dans un quartier de Beijing à l’écart des quartiers du luxe, est une ancienne imprimerie transformée en une sorte de musée vivant, et paradoxalement très contemporain, des traditions populaires chinoises. Le visiteur est accueilli par un vaste espace d’exposition ou des scénographies très sophistiquées mettent en scène de façon inattendue d’anciens objets du quotidien. Les espaces suivants, inspirés de maisons traditionnelles paysannes, ont pour ambition de « connecter le visiteur avec le pouvoir et la beauté du fait-main » sans jamais tracer de frontière nette entre le décor et ce qui peut être acheté, entre l’objet muséal et le produit à vendre. Si elle n’est pas consensuelle, l’expérience que procure ce lieu est d’autant plus forte qu’elle est en parfaite cohérence avec l’identité de cette marque qui se définit comme étant éthiquement et écologiquement responsable et un « passeur » d’héritage culturel.
La deuxième est la marque coréenne de lunettes « Gentle Monster ». Ses boutiques que l’on trouve à Seoul et dans plusieurs villes coréennes, mais aussi à Beijing, Shanghai et Los Angeles, bien que toutes différentes, sont d’incroyables mises en scènes d’objets plus ou moins surréalistes, de décors et de machineries qui se déploient sur des surfaces commerciales de plusieurs centaines de m2, à priori démesurés par rapport au nombre de références et au types de produits vendus (uniquement des lunettes). Mais ces boutiques, que l’on visite comme des versions extrêment ludiques et pleines de surprises d’installations d’art contemporain, ont pour effet de créer une relation unique à cette marque de lunettes au design tout aussi décalé.
Ce qui se profile donc, ce n’est sans doute pas la fin des concept stores mais leur transformation, qui affecte plus généralement toute la distribution, et la nécessité de dépasser l’idée d’un simple assortiment de produits au profit d’un ensemble d’expériences, cohérentes avec une identité définie, capable de créer une relation d’attachement avec un groupe de consommateur. Le Colette de 2020 reste donc à inventer.