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Interview avec Corinne Tehini, diplômée du MBA Management de la Mode

Née au Liban tout en étant Italienne, Française et Chinoise de cœur, Corinne Tehini, diplômée du MBA Management de la Mode d’IFA Paris et styliste passée par à peu près tous les métiers de la mode avant d’être nommée, à Shanghai, Senior Research & Development de Arket, nouvelle marque du groupe H&M, a élu domicile en Chine. « Mon vrai chez moi » dit-elle.

Michel Temman : D’où venez-vous ? Quel est votre background ? Quelle est votre vie avant et après IFA Paris ?

Corinne Tehini: On me pose souvent la question chez H&M ! On me prend souvent pour une Italienne mais je suis Libanaise. Mon prénom est français mais je suis bien Libanaise. Je suis née à Beyrouth, pendant la guerre en 1980. C’est là que j’ai été scolarisée, dans une école catholique française, très catho, très carrée. À cause de la guerre, j’ai vécu une partie de mon enfance à Chypre – et aurais au final passé près de 15 ans au Liban, entrecoupés d’allers et retours avec Chypre. Ensuite, j’ai vécu de nouveau au Liban et ai intégré Esmod Beyrouth avant de m’envoler pour la Chine où je vis et travaille depuis 14 ans. Car là où je me trouve le mieux, c’est encore en Chine !

M.T. : Qu’est-ce qui vous amène en Chine l’année de vos 23 ans ?

Corinne Tehini : Comme IFA Paris, Esmod Beyrouth aidait alors les étudiants à trouver un emploi. Durant la Beyrouth Fashion Week, on m’a proposé un poste en Chine, à Guanghzou (Canton, ndlr), de chef styliste. J’ai passé l’entretien et ai obtenu le poste, dans un groupe syrien-canadien dirigé par 3 frères auxquels le père avait confié une usine de knitwear établie à Hong Kong. Cette société recherchait un chef styliste capable de réaliser des collections avec ses fournisseurs – des agents chargés de marques et de gammes comme Walmart, Motivi ou Rocco Barocco. C’était un poste de styliste-product developper. Ils avaient peu de budget mais j’avais obtenu un bon contrat, un statut d’expatriée et un appartement. Mon père – un vrai papa libanais – m’avait suivi à Guanghzou : il voulait voir les lieux, s’assurer que tout allait bien. J’ai commencé à œuvrer en direct avec les stylistes et avec les merchandisers et me suis mise aussitôt au chinois. D’autant qu’autour de moi, toute l’équipe – 12 personnes au début puis 50 au bout de 5 ans – parlait seulement cantonais. Un sacré choc culturel et un vrai défi. Je suis restée malgré tout.

M.T. : Comment atterrissez-vous dès lors à Shanghai ?

Corinne Tehini : En passant un week-end à Shanghai ! Je voulais découvrir la ville et l’ai tout de suite adorée. Je suis aussi tombée sur le Facebook d’IFA Paris mettant en valeur un programme d’étude à Shanghai et à Florence. J’ai postulé. J’ai posé ma démission à Guanghzou et ai intégré, en 2009, IFA Paris à Shanghai.

M.T. : Vous exerciez déjà une activité professionnelle en Chine, comme styliste. Pourquoi avoir voulu rejoindre de nouveau les bancs d’étude d’IFA Paris ?

Corinne Tehini : Parce que j’en avais besoin. J’ai pensé que de reprendre et de renforcer mes études m’ouvrirait davantage de portes. Il m’a semblé aussi que le moment était venu d’aller à Shanghai voir ce qui s’y passait. La chance m’a souri puisque c’est à Shanghai que j’ai rencontré un peu plus tard mon fiancé italien, devenu mon mari !

M.T. : Quel programme d’IFA Paris avez-vous retenu alors ?

Corinne Tehini : Le MBA Management de la Mode – le MBA s’est étoffé depuis de modules sur le management du luxe. L’enseignement était alors assuré par la professeure Adile Cretallaz. Le luxe dans toutes ses dimensions. C’était formidable de revenir dans ce monde académique, de croiser des étudiants de tous horizons – certains travaillaient déjà dans la mode. Il y avait des tas de projets à présenter et j’adorais ça. On apprenait aussi à parler, à s’exprimer, dans le cadre du métier. Les cours de design m’intéressaient moins et j’étais surtout intéressée par les cours théoriques, de market entry, de fashion business, sur le luxe ou sur les relations avec les clients. Puis le MBA m’a permis d’étudier à Florence – au sein du cursus IFA-Polimoda – où j’ai renforcé mes connaissances sur l’histoire de la mode. Une expérience forte à tous points de vue.

M.T. : Vous êtes ensuite de retour à Shanghai…

Corinne Tehini : J’ai rejoint une société chinoise, Asobio (groupe Cobest), comme chef styliste. Des collègues venaient de Zara et de Mango. J’étais intéressée par la technique : la structure des matières, les suppliers, les fournisseurs… J’ai ensuite rejoint un groupe français, Network Sourcing – les agents du Groupe Beaumanoir. On travaillait avec Sandro, Mage, Morgan et des marques de fast fashion… Un peu plus tard, en 2013, j’ai été embauchée par H&M.

M.T. : Vous ne faites pas qu’un pas de géant alors : vous rejoignez un géant de la fast fashion et de surcroît en Chine !

Corinne Tehini : H&M, avec ses 4000 stores dans le monde – et cela évolue chaque jour –, c’est assez énorme en effet. Ici, au sein des bureaux China Region, on est 500 et à Shanghai, on occupe 5 étages.

M.T. : En quoi consistait alors votre rôle chez H&M ?

Corinne Tehini : J’étais trend-developer. Je recevais les tendances du siège et les développais. Je créais des matières achetables et achetées devant correspondre aux standards d’H&M. Il fallait que la composition de la matière et le design soient corrects et que les fournisseurs soient les bons. On organisait aussi des événements et des expositions en interne. Mais au bout de 6 ans, disons que j’avais fait le tour. Un poste s’est alors libéré chez Arket. Le groupe cherchait un profil avec une expérience dans le style, dans la mode et les tendances, avec un background technique. Cela me correspondait et j’ai donc sauté le pas.

M.T. : En quoi consiste désormais votre mission chez Arket ?

Corinne Tehini : Je suis Senior Research & Development. J’ai 2 responsables très impliqués et de haut niveau sous mon autorité et nous travaillons avec le bureau d’achat. Chez Arket – une nouvelle entité d’à peine 18 magasins pour l’heure dans le monde –, nous sommes en contact avec les autres marques du groupe. Venant de H&M, j’assure le soutien des fournisseurs. Arket est une jolie marque lifestyle, Femme, Homme, Enfant et Home, éco-responsable et transparente. Sur son site, on peut voir notamment où les vêtements sont produits.

M.T. : Justement, on parle beaucoup de cette conscience éco-responsable dans l’industrie de la mode – industrie hautement polluante… Un sujet à la mode lui aussi ?

Corinne Tehini : C’est en tout cas l’avenir. Le sujet est maintenant enseigné dans les écoles de mode – IFA Paris le fait et c’est très bien. Il faut aussi que le sujet gagne les universités, d’ingénierie par exemple. Le savoir est considérable. La Chine est d’ailleurs en avance. Quand on parlait beaucoup en Europe de coton ou de polyester recyclé, la Chine le faisait déjà. La Chine est le marché qui s’essaie sans doute le plus à fond au recyclage des matériaux. Le gouvernement a adopté des restrictions et d’innombrables marques et sociétés les appliquent.

M.T. : Vous qui êtes experte en tendances, comment voyez-vous d’ailleurs évoluer le marché de la mode à Shanghai ?

Corinne Tehini : Je suis moins dans le retail que dans la production et suis surtout témoin des évolutions sur les prix ou des nouvelles restrictions dans les usines. Je constate que les petites marques tiennent bon à Shanghai grâce à une clientèle aisée et stylée qui veut s’habiller avec une certaine exclusivité. Cela dit, le mass market continue de culminer. Et ce à quoi on assiste, c’est à l’explosion du online. Même chez H&M, le online cartonne et surtout Tmall (plateforme de boutiques officielles, réservée aux marques, à laquelle on accède via Taobao, ndlr). H&M a ouvert sur Tmall il y a près d’un an et le succès est depuis exponentiel.

M.T. : La petite fille née à Beyrouth ne se doutait pas, enfant, qu’elle œuvrerait, plus grande, aux destinées d’un grand groupe de mode international en Chine !

Corinne Tehini : Je vous parle de la mode en Chine, du mass market, mais je vous dois une confidence : au tout début de mon histoire, je ne voulais pas travailler dans la mode. Mon rêve, c’était d’être architecte et urban designer. J’ai passé le concours à l’université de Beyrouth et j’ai été acceptée. Mais à l’époque, ces études étaient hors de prix et je m’en suis détournée. J’ai au final postulé pour une école de mode ! Parfois, on ne fait pas ce que l’on veut et la vie nous emmène sur un autre chemin. Et pourquoi pas ? Le destin m’a conduit à Guanghzou, dans ce sud de la Chine assez industriel et assez old school, et ce pays m’a formé. C’est là que ma carrière et ma personnalité ont le plus évolué. C’est là que j’ai grandi et mûri. Je vis et travaille à Shanghai et m’y sens si bien. Je parle 5 langues, dont le chinois et me voici italienne par le mariage ! Je suis retournée plusieurs fois au Liban et je me suis sentie à chaque fois étrangère dans mon propre pays... Mon vrai chez moi, c’est la Chine ! C’est Shanghai, plus que tout autre lieu !

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